rester debout
Le sens, comme l’a montré la philosophie grecque, est donc ce qui me fait « vivre » ou « survivre » comme être humain « existant », mais qui peut aussi me faire « mourir », car il est ce « au nom de quoi » je m’engage, parfois jusqu’à prendre le risque de la mort…
Un détour par l’étymologie nous permettra de développer les champs sémantiques de ce terme et de montrer son immense richesse. Ainsi la racine indo-européenne sta, « se tenir debout », définit quatre champs :
1. L’idée de se tenir debout ; le grec stasis, a le sens de « se lever » mais aussi de « se soulever contre » ; stauros désigne un pieu et histos un mât, il indique « la stabilité », la force de la « fixité » de ce qui s’établit. Le latin reprend cette racine dans le mot statuere, qui se décline dans stabulum, « l’étable », superstare, « se tenir au-dessus », constare, « être ferme », « constant », ou encore dans prostituere, « exposer ». « Substance » en philosophie est ce qui se tient sous, supportant le sujet ou son essence, et qui peut demeurer caché. Ainsi, la résistance est ce qui me ferait tenir debout comme existant, comme un mât dressé ou comme un pieu.
Dresser, c’est aussi « se placer devant », « arrêter », « faire obstacle » (ce qui se tient debout pour faire barrage). L’obstétrique est l’art de la sage-femme qui se tient debout devant l’accouchée pour l’accueil du bébé. Justitia, la justice, ce qui tient par le droit, a fonction de se dresser parfois, de faire obstacle au pulsionnel qui habite chaque être humain.
« Se tenir debout », c’est aussi ne pas tomber sous les charmes de la séduction, résister aux avances de prétendants…
2. L’idée d’une « chaîne qui tient ensemble », stemon en grec, est la chaîne du tisserand ; fils de chaîne verticaux des tapisseries de haute lice ou horizontaux des tapisseries de basse lice, ils tiennent tout le tissu. Circumstantia est un assemblage de situations et d’éléments entre lesquels on peut établir du lien et des corrélations ; le contraire est la distantia, c’est-à-dire la distance, la séparation, ce qui ne tient pas.
3. L’idée de ce qui ne se détruit pas ; le fil de résistance électrique, non seulement ne se détruit pas, mais il produit de la chaleur ou de la lumière. La « résilience », en physique, caractérise la « résistance » des matériaux au choc ; en psychologie, elle est le ressort moral qui permet de rebondir dans les situations difficiles. Boris Cyrulnik en fait la capacité des humains, et des enfants en particulier, à surmonter des traumatismes graves. La « résistance » est donc la force que l’on oppose à des forces de destruction (cf. Bichat, La définition de la vie), la « résistance » fait tenir le coup, supporter la souffrance. Elle est d’ailleurs parfois confrontée au temps : autant que la violence d’un choc, la durée est redoutable ; l’amour par exemple peut-il « résister » au quotidien et aux habitudes de la vie ?
4. L’idée de « restaurer », de « se restaurer », de retrouver quelque chose qui a été perdu ou oublié, déformé. Le « restaurant » est l’endroit où l’on reprend des forces perdues dans le travail ou dans la vie. Restaurer, c’est rétablir la vigueur, la santé, par les aliments ou les remèdes appropriés, et « instaurer » a un sens assez proche puisqu’il s’agit de l’idée de « s’appuyer sur », « d’établir » ou encore de fonder.
Les champs de la « résistance » sont donc nombreux. source : Exister et résister, Jean-Bernard Paturet Dans Empan 2005/1 (no57), pages 12 à 15 cairn.info
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