« Si vous deviez mourir maintenant et être conçu à nouveau cette nuit, dans quelle femme choisiriez-vous de passer les neuf premiers mois de votre prochaine vie ? » Avec cette demande, Ronald David Laing (1977), donne une version radicale et générique du fantasme originaire de retour dans le ventre maternel. On y entend une multitude de possibles dans une grande tension paradoxale qui caractérise le ressenti ambivalent de cette question, à mi-chemin entre attraction et répulsion. A priori, il s’agit d’une interrogation d’un adulte qui connaît la finitude humaine et les règles biologiques de la procréation… mais on ne sait décidément pas si l’interlocuteur va répondre : « Bien sûr, ma mère, je ne veux changer à aucun prix ! », ou « Unetelle, qui comme je le constate aujourd’hui, serait la plus aimante des mères », ou encore : « Oh écoutez, je ne sais vraiment pas et je vais réfléchir » et, enfin : « je n’ai pas de temps à perdre avec une devinette aussi absurde ! » Entre nostalgie monopolistique de la maison-mère, possibles conquêtes exotiques de nouveaux habitats et évitement phobique, la libido s’exprime en tout cas entre interdit et transgression de l’inceste. Mais on perçoit aussi dans le questionnement de cette citation, la pertinente incongruité de l’infantile qui ose poser la question telle quelle, en échappant furtivement au refoulement et à la pression du surmoi. D’abord, avec l’affirmation explicite que ce fantasme n’est pas celui du retour dans le « sein maternel »…
Le fantasme originaire de retour dans le ventre maternel et la séparation, Sylvain Missonnier, Dans L’originaire et l’archaïque(2017), pages 115 à 133 source : cairn.info
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la possibilité d’une clef – Samuel Bak : Possibly (Key to the Childhood City), oil on canvas, 2002
Samuel Bak est un peintre américain d’origine lituanienne. Survivant de la Shoah, son œuvre représente, par des symboles, métaphores et allégories, un monde perdu et une quête de reconstruction. (Wikipedia)
le meurtre du père primitif comme premier acte démocratique
L’approche de la dimension politique par Freud n’est pas séparable de sa théorie de la religion. La question du pouvoir est indissociable de l’interrogation sur les sources de la croyance. Dès L’interprétation des rêves, s’énonce discrètement le rôle du père dans la genèse des formes du pouvoir et dans les religions. En un sens, dès que Freud a aperçu la place du père comme porteur de l’interdit de l’inceste dans l’économie psychique, il en fait le pivot de la construction de l’édifice aussi bien social que religieux, indiscernables en une première approche. Ce sera son premier mot et aussi son dernier tel qu’il le reprendra dans L’homme Moïse et le monothéisme (1939). L’anthropologie politique de Freud est une théologie politique. C’est par identification à la place du Un que Freud va déduire la possibilité de l’égalité démocratique. Dans la fiction de Totem et tabou, contrat social projeté à l’orée de l’histoire, le soi-disant darwinisme freudien a des accents très hobbesiens. Le contrat social freudien permet de se délivrer de l’angoisse au prix de renoncer à répéter le meurtre du père. La fiction freudienne fait du meurtre du père originaire le véritable moment du contrat, le moment où s’effectue la transmutation. En ce sens, elle est chrétienne, comme le note Lacan . C’est dans un deuxième temps que se produit la horde ou la foule, forme sociale égalitaire. Le lien organique de la loi et du crime ne permet pas à Freud de penser que le charisme du chef puisse fonder une source apaisée de l’autorité ; ni que le meurtre originaire pourra être résorbé dans le système des règles de la civilisation. La pulsion de mort freudienne est comme un état de nature qui menace toujours la civilisation. Au sein même du contrat, se retrouve la terreur fondatrice que faisait régner le père de la horde dans l’état de nature. « Le meneur de la masse demeure toujours le père originaire redouté, la masse veut toujours être dominée par une puissance illimitée. » L’établissement du lien social – l’assise pulsionnelle de l’identification – ne permet aucunement d’envisager une paix. Le père de la horde avait accès à toutes les femmes. Cette jouissance sans limites habite le chef qui en hérite. source : cairn.info
le chien du psychanalyste – Freud et la sœur de Lin-Yun le Chow Chow Jofi (Beauté,en Hébreu), 1937
Freud acquiert son propre chien en 1928,
un Chow-Chow nommé Lin-Yung offert en cadeau par Dorothy Burlingham, une amie d’Anna. Malheureusement, seulement quinze mois après son apparition dans la vie de Freud, la « petite lionne » disparait dans la gare de Salzburg, enroute vers Vienne. Elle est découverte deux jours après sa disparition, renversée par un train.
Sept mois plus tard Freud prend chez lui la sœur de Lin-Yun, Jofi
(Beauté,en Hébreu), qui sera pour lui un compagnon inestimable et une des plus douces consolations de la dernière décennie de sa vie, une période marqué par beaucoup de souffrances : la maladie, l’autodafé de ses œuvres par les nazis, la guerre, et l’exil de son pays natal. Atteint d’un cancer de la mâchoire, pendant les seize dernières années de sa vie il a dû subir trente-trois interventions chirurgicales. Peu après l’arrivée de Jofi, Freud voyage à Berlin pour l’insertion d’une prothèse de la mâchoire supérieure, « le monstre », qui sépare la bouche de la cavité nasale. Cet appareil, maintes fois transformé, modifie son élocution, lui rend difficile de manger et de fumer et lui cause de continuelles souffrances. De Berlin, il s’enquiert auprès de sa femme Martha – qui, peu amoureuse des chiens, met Jofi dans une pension pour animaux – de la condition de sa bien-aimée Jofi : Est-ce que quelqu’un rend visite à Jofi ? Elle me manque beaucoup.
Une fois réunis, chien et maître deviendront inséparables.
Ayant énormément de difficulté à avaler, Freud offrait à Jofi les restes de ses repas, ce qui peut expliquer la silhouette grassouillette de la Chow si charmante. Avec la progression de son cancer, la psychanalyse devient une activité de plus en plus épuisante et ardue pour Freud. Il apporte Jofi à toutes ses séances. La présence de la chienne s’avère aussi thérapeutique pour les patientes que pour lui. Freud découvre, en observant ses gestes et son comportement dans la présence de certaines de ses patientes, que Jofi est dotée d’une vraie capacité de jugement du caractère des hommes, un véritable baromètre émotionnel. La présence de Jofi facilite même le procédé de l’association libre. Pendant les séances de psychanalyse, l’analysant s’allonge sur un divan à la tête duquel prend place l’analyste, hors de vue, une disposition qui est censé favoriser le flux libre de l’inconscient.
Contrairement à l’analyste, Jofi est en pleine vue des patientes.
Elle s’étend au pied du divan, sereine et tranquille. Comme elle ne réagit aucunement à ce qu’exprime l’analysant, Freud a conclu que sa présence lui donne un sens d’acceptation et de sécurité, ce qui permet l’expression spontanée de tout ce qui passe par la tête. Jofi possédait aussi une excellente notion du temps, comme le raconte Martin, le fils de Freud : Quand Jofi se levait et bâillait, il savait que l’heure était écoulée. Elle n’était jamais en retard pour annoncer la fin d’une séance, bien que papa admette qu’il lui arrivait de faire une erreur d’une minute, au détriment du patient. source : leschiensetleurshumains.wordpress.com
Anna Freud : « Je n’ai pas donné de cadeau à papa pour son anniversaire parce qu’il n’y a aucun cadeau approprié pour l’occasion. J’ai simplement apporté une photo de Wolf que j’ai prise à la blague, parce que j’affirmerai toujours qu’il a transféré la totalité de son intérêt pour moi sur Wolf. Ça lui a beaucoup plu.«
le monde change – Gianluca Gambino aka Tenia : la métamorphose
» En se levant un matin après une nuit de rêves inquiétants, Gregor Samsa se découvrit transformé, dans son lit, en un énorme insecte. «
Ce sont les premiers mots de « La métamorphose » de Kafka (1912),
le début de la lente « mort » psychique et physique du « voyageur de commerce ». Quelques lignes plus loin, Samsa-cafard découvre une partie de son ventre « couverte de nombreux petits boutons blancs qu’il ne pouvait expliquer. Il essaya de les toucher avec une de ses pattes, mais il dut la retirer immédiatement, car à leur contact, il éprouva une sensation de froid. » Peut-être que cette sensation de froid indique la double « peine » de Kafka : l’une, envers son corps à travers les premiers symptômes d’une maladie dont il mourut quelques années plus tard, l’autre, liée à un interdit œdipien présent depuis toujours et révélée par son amour pour Felice Bauer, rencontrée quelques mois plus tôt. Notre hypothèse est que Kafka réagit à la « sensation de froid » à travers une intention psychique inconsciente destructive irrationnelle, mais triomphante, parce qu’elle « confirme » le destin déjà écrit d’un échec œdipien : ici Laios triomphe et tue Œdipe. Le cafard kafkaïen est-il une illusion capable de s’étendre à la condition humaine tout entière (comme on l’interprète habituellement), ou s’agit-il d’un verdict inscrit dans le corps et prononcé par un Surmoi implacable, entraînant une maladie destructrice ?
Dans Le procès, Josef K. écrit : « un seul bourreau pourrait remplacer le tribunal entier ».
Pour lui, en effet, le bourreau gagne toujours son combat, car cette authentique transformation du destin est impossible. Tandis qu’elle le fut pour Freud durant les mêmes années (à l’époque de la première Guerre Mondiale). Face au traumatisme de la décadence, les autobiographies involontaires suivent deux chemins différents : Freud réécrit l’Œdipe comme Histoire et le relance dans le temps, Kafka réécrit l’Œdipe comme Maladie et y met fin. Ainsi, chez Kafka ne domine pas la Transformation, mais la Métamorphose, c’est-à-dire la mutation totale sans lien avec l’état précédent. Gregor Samsa ne se transforme pas, il se mue en cafard. Nous avons mutation et violence, mais il nous manque la troisième composante nécessaire l’invariance, selon Bion pour parler de transformation catastrophique : il ne reste rien du passé qui garde un minimum de continuité. Kafka ne souhaite pas changer, il veut plutôt que la réalité fasse un pas en arrière, que la vie reprenne son cours normal, comme par magie :
Le terme « métamorphose » issu du Grec, signifie « changement total ».
(…) Pour que la métamorphose se produise, le moi doit se déplacer par segments massifs, condensés, non suffisamment dissociés ou différentiés entre eux, et ainsi le passage d’un fragment du moi à un autre est un véritable changement de personnalité, une métamorphose. C’est ce que j’appelle objet agglutiné ou relation objectale agglutinée ». (Bleger, 1967, p. 101). « . Ainsi tout est réaménagé et acquiert un sens nouveau. C’est une réorganisation dans laquelle tous les éléments sont classés dans un ordre différent et s’adaptent à un moi situé à un niveau régressif, magique (…) C’est la rencontre avec une image interne, idéalisée, et c’est pour cela qu’elle apparaît avec les caractéristiques de la prédétermination ». Si : « La régression est trop intense, on court le risque de se dissiper et le contact avec l’autre devient indispensable pour circonscrire la régression et configurer à nouveau la personnalisation « en se reflétant dans l’autre » ; il s’agit donc d’une recherche de limites » (Bleger, 1967, p. 102). source : CAIRN
je vous écoute – Marion Peck : Lady with a Gold Necklace
« Admirer le travail de Marion Peck,
figure de proue du Surréalisme Pop aux États-Unis, c’est se promener à pas feutrés dans un univers sombre et fantasque, une féerie bizarre où cohabitent animaux de la forêt, créatures grotesques et enfants mélancoliques. Parfois appelé ironiquement Lowbrow Art, le Surréalisme Pop est un mouvement pictural apparu à la fin des années 70 en Californie, et dont Marion Peck et son mari, l’artiste américain Mark Ryden, se trouvent être les deux principaux représentants aujourd’hui.
Comme souvent chez les artistes de cette mouvance, le travail de Peck rappelle les fantaisies d’Alice au Pays des Merveilles. Ses références et ses sources d’inspiration cependant vont bien au-delà du roman de Lewis Caroll. Ses œuvres conversent avec les tableaux célèbres de la Renaissance. Parfaitement maîtrisée, sa technique, elle aussi, s’inscrit dans l’héritage direct des peintres classiques de la tradition occidentale. » source : danyszgallery
« Dominique Clerc attire notre attention sur le trajet de notre écoute au cours de l’exercice de notre métier. Elle nous propose d’en faire un objet interne et d’observer ce détour qu’est notre travail de l’écoute. C’est donc en insistant sur le point de vue dynamique qu’elle porte son attention sur les deux produits de la cure que sont la libre association, qui serait en fait mieux nommée parole d’incidence et l’attention en égal suspens qui est une attention régrédiente. Elle refuse la facilité que peut offrir le terme de « contre-transfert » et préfère entendre les deux discours asymétriques de séance, leurs opérations et procès psychiques spécifiques, ainsi que leurs contagions, leurs mutualités, leurs complicités.
C’est une telle écoute d’une double processualité qui permit à Freud d’esquisser sa conception de l’implication du langage dans l’obtention de l’effet thérapeutique de la méthode psychanalytique. » source : cairn
autres publications bretzel liquide taguées Marion Peck
le lac des poulpes – Robin Isely (en russe : Лебединое озеро / Lebedinoïe ozero) est un ballet en quatre actes sur une musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski (opus 20) et un livret de Vladimir Begitchev inspiré d’une légende allemande.
« Le lac des poulpes est pour moi une longue rêverie du prince Siegfried […] Celui-ci, nourri de lectures romantiques qui ont exalté son désir d’infini, refuse la réalité du pouvoir et du mariage que lui imposent son précepteur et sa mère […]. C’est lui qui, pour échapper au destin qu’on lui prépare, fait entrer dans sa vie la vision du lac, cet « ailleurs » auquel il aspire. Un amour idéalisé naît dans sa tête avec l’interdit qu’il représente. Le poulpe blanc est la femme intouchable, le poulpe noir en est le miroir inversé. Aussi, quand le rêve s’évanouit, la raison du prince ne saurait y survivre. »
L’Idéal du Moi désigne les valeurs positives auxquelles aspire le sujet, il est lié au narcissisme et à la seconde topique freudienne. Le Moi idéal désigne une instance reposant sur un idéal de toute-puissance infantile fondée sur le narcissisme infantile. Wikipedia
Le terme « addiction » mérite d’être introduit par une référence à son étymologie, plus par méthode que par souci d’inférer de son évolution sémantique le processus psychopathologique. Si, en latin, « ad dicere » signifiait « être dit à » (pour un esclave donné à un Maître en contrepartie d’une dette qu’il n’avait pu payer), si « l’addiction » désignait l’opération juridictionnelle de « contrainte par corps » d’un homme libre du fait de sa dette, que d’images pour une interprétation psychopathologique de la dépendance à un produit ou à une situation que le logos actuel a nommée « Addiction » ! Pour le discours psychanalytique, plusieurs expressions retiennent l’attention : la voie passive « être donné », l’esclavage, qui de Sénèque à Hegel, puis à Lacan, a marqué l’asymétrie des rapports humains, la dette avec ce qu’elle recèle ici de réel, le corps devenu autre, aliéné à l’autre, servant de substitution à une dette non soldée. Le rapprochement des termes, de leurs champs sémantiques, pour rhétorique qu’il paraisse, est pourtant évocateur d’une figuration des composantes psychopathologiques majeures de l’Addiction (Pedinielli & Rouan, 2000), phénomène clinique aux multiples visages, et, surtout, aux multiples discours. Que, dans le réel, le corps en vienne à être dédié à une dette impayée, à un manque, et s’en retrouve asservi, n’est peut-être pas seulement une image suscitée par la proximité sémantique.
Réalisé par l’une des moitiés de l’atelier de création graphique français Brest Brest Brest, Rémy Poncet imagine « History and chips », une série de collages en noir et blanc accompagné d’un élément alimentaire coloré.
Un jour, presque par hasard, l’un des deux acolytes, Rémy Poncet colle un chewing-gum sur une vieille photo du film Un Américain à Paris. C’est le début de « History and chips », une série personnelle de long terme qui a débuté en mars dernier et qui vient de se terminer. Oeuf, moutarde, jambon, chewing-gum, spaghettis, sauce, dentifrice… Chaque mois, l’artiste réalisait une seule et unique nouvelle image. Le résultat est superbe, retrouvez l’origine de la série ici et on vous conseille de faire un tour sur le portfolio de Brest Brest Brest
les liens du sang, Dolce Paganne : Seed, Colored Pencil on Paper, 2020
Dolce Paganne alias Ceren Aksungur est une artiste originaire d’Istanbul basée à Anvers.
L’artiste se concentre dans ses dessins surréalistes sur l’aspect « sinistre » qui réside dans les détails de la vie quotidienne.
Obsédée par les aspects hypnotiques des formes géométriques, elle aime construire son travail né d’un sentiment de « paralysie du sommeil », autour d’images comme des séquences rêve/cauchemar.